Les musulmans suisses et le défi de la transmission de la religion aux générations futures

9:15 - December 28, 2023
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IQNA-Tout comme les fidèles d’autres religions, les communautés islamiques en Suisse sont confrontées au défi de la transmission, à la génération suivante, de ce qui est essentiel. Cette tâche s’impose avec une acuité particulière pour ces communautés, qui forment une minorité apparue tardivement dans un pays fortement sécularisé. Comment s’y prennent-elles ? Qu’en est-il du côté de l’État ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que le droit suisse autorise ?

Les musulmans suisses et le défi de la transmission de la religion aux générations futures« L’enseignement du Coran » dans les mosquées

En Suisse, presque toutes les communautés religieuses sont organisées selon le droit privé. C’est donc à elles qu’il revient de décider si elles entendent organiser un enseignement religieux, et de quelle manière. La plupart des associations musulmanes offrent un enseignement axé sur la pratique pour les enfants en âge de scolarité. L’enseignement vise à ce que les enfants apprennent les bases qui leur permettent d’accomplir leurs obligations religieuses fondamentales à partir de leur puberté. Au premier plan de ces obligations figure la prière rituelle, qui demande de connaître un grand nombre de formules et de versets coraniques en arabe. Les personnes qui prient doivent aussi connaître l’ordre correct dans lequel effectuer les mouvements, les conditions à respecter pour la pureté rituelle et les autres particularités devant être observées pour la prière. L’arabe n’est pas enseigné de manière complète. Son enseignement est limité à la graphie, à une prononciation approximative et à une compréhension suffisante du sens pour que les enfants se repèrent dans un texte.

Le plus souvent, l’enseignement est donné les samedis ou dimanches, ou les mercredis après-midi, moment de congé scolaire ; il est donné par l’imam, ou par des adultes qui disposent de connaissances religieuses et pédagogiques dont l’étendue varie. Cet enseignement se termine souvent par un examen, et les enfants se voient ensuite remettre un diplôme dans le cadre d’un événement festif organisé par la mosquée. Cette étape est d’une importance comparable à la première communion et au baptême catholiques et à la confirmation des personnes réformées.

Tous les parents musulmans n’envoient pas leurs enfants suivre un enseignement dans une mosquée, loin s’en faut. Certains parents jugent qu’il n’est pas important, d’autres ont des réserves vis-à-vis de la mosquée ou encore, il se peut qu’ils ne parviennent pas à organiser le déplacement de leurs enfants jusqu’à la mosquée, dont l’emplacement n’est pas pratique pour eux. À l’inverse, il existe aussi des solutions entièrement privées : les familles somaliennes notamment tendent à faire venir à domicile un enseignant qui apporte aux enfants les bases du culte musulman.

26 systèmes scolaires

Mais qu’en est-il de la religion dans l’enseignement de l’école publique ? Étant donné que la scolarité et le domaine des communautés religieuses relèvent de la compétence des cantons, il existe 26 cadres juridiques différents pour les régler. En 2023, une étude du Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg et du Centre de Recherche sur la Religion (« Zentrum Religionsforschung ») de l’Université de Lucerne a analysé et présenté cette situation complexe.

Si leurs parents le souhaitent, les enfants de confession romaine-catholique ou évangélique réformée reçoivent traditionnellement un enseignement religieux durant certaines années scolaires. Reconnues comme des corporations de droit public par le canton concerné, les Églises cantonales sont responsables de cet enseignement. Cette reconnaissance d’un statut de droit public confère notamment le droit, pour l’Église, de se voir attribuer une salle et une plage horaire pour l’enseignement. Formés et mandatés par les Églises cantonales, les membres du corps enseignant donnent désormais les cours de religion de manière œcuménique, c’est-à-dire ensemble, et en règle générale, ils laissent aussi les enfants d’autres confessions ou religions le suivre lorsque le souhait est exprimé.

La religion apparaît toutefois aussi dans des branches de l’enseignement assumées par l’État. Comme l’État a une obligation de neutralité s’agissant de religion, le point de vue sur la religion n’est pas confessionnel dans ces branches, c’est-à-dire que la foi n’est pas proclamée ; cette approche neutre traite de la religion en tant qu’objet d’étude et met en lumière plusieurs traditions religieuses. Tous les élèves doivent suivre cette matière. La religion n’est d’ailleurs que l’un des nombreux thèmes abordés dans ce cours. En Suisse alémanique, le cours est intitulé « Nature, homme et société » (« Natur, Mensch, Gesellschaft ») pour le degré primaire et « Éthique, religions, communauté » (« Ethik, Religionen, Gemeinschaft ») pour le degré secondaire ; en Suisse romande, il s’appelle « Éthique et cultures religieuses » et au Tessin, il est nommé « Culture, religioni, mentalità ». Laïcs, les cantons de Genève et de Neuchâtel ont intégré la religion dans la matière de l’histoire. Les enfants musulmans qui ne suivent pas d’enseignement dans une mosquée entendent donc aussi parler de leur religion et avec leur classe, ils visitent parfois une mosquée ou une église.

Essais locaux

Dans certaines communes, le nombre d’enfants musulmans a augmenté de manière importante au cours des dernières décennies. Face à ce constat, les spécialistes de l’enseignement religieux musulman ont réfléchi dès l’an 2000 à l’opportunité d’un enseignement islamique qui serait donné à l’école de manière analogue à l’enseignement confessionnel donné par les Églises cantonales, c’est-à-dire dans la langue nationale suisse de la région et selon des principes pédagogiques modernes. Cet enseignement a pu être donné dans certains cantons, dans lesquels le droit ne réservait pas expressément l’enseignement confessionnel aux Églises cantonales. Localement, de premières expériences pilotes ont donc été menées dans de rares cantons alémaniques.

Dès l’an 2000, deux bâtiments scolaires de Wil (SG) ont abrité un premier cours, assuré par Bekim Alimi, l’imam récemment arrivé dans la mosquée albanaise locale. À l’été 2002, un cours similaire se déroulait dans deux écoles des communes lucernoises de Kriens et d’Ebikon. Deux musulmanes engagées, dont l’une avait suivi un cours suisse de l’« Institut für Interreligiöse Pädagogik und Didaktik (IPD) » de Cologne, en étaient les moteurs. D’autres personnes ayant suivi les cours de l’IPD se sont aussi mobilisées dans leur lieu de domicile. Deux autres projets pilotes locaux seulement ont vu le jour dans les cantons de Zurich et d’Argovie, en 2002 et en 2003.

Alors que les premières tentatives reposaient sur des structures minimales, un projet à l’assise plus large a été créé un peu plus tard à Kreuzlingen (TG). Donné à partir de 2010 par l’imam Rehan Neziri, ce cours reposait sur une large alliance d’acteurs et actrices qui rassemblait, en plus des mosquées locales albanaises et turques, les Églises cantonales, le préposé municipal à l’intégration et des membres du corps enseignant de la haute école pédagogique. Toujours dans le canton de Thurgovie, des cours sur l’islam ont ensuite aussi été introduits à Sulgen (en 2019) puis à Romanshorn (en 2022). Neuhausen dans le canton de Schaffhouse a suivi à partir de l’été 2022.

Des structures fragiles

Après qu’une phase initiale de débat public houleux était dépassée, la majorité des projets se sont installés durablement. Les projets n’ont jamais dû non plus être interrompus pour des raisons de qualité, bien au contraire : les évaluations faites à Kriens, Ebikon et Kreuzlingen ont souligné la valeur intégrative des cours donnés. Pour les familles musulmanes, souvent éloignées d’une mosquée, dont les enfants suivaient les cours, cet enseignement était un signe de reconnaissance et de normalité. Pour ce qui est du contenu, l’enseignement religieux scolaire, l’enseignement du Coran à la mosquée et l’enseignement étatique de la religion en tant que matière peuvent se compléter : chaque forme a son profil propre.

Toutefois, dans la plupart des lieux, l’enseignement religieux à l’école repose sur des structures fragiles. Il est fortement tributaire de l’engagement des individus et son financement est insuffisant ; des programmes d’assurance qualité, une formation continue et la relève enseignante font également défaut.


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